Nous sommes à environ deux mois des élections, très probablement. Certes, il y a des annonces et, notamment, des promesses à droite et à gauche. Mais où sont les programmes ? Comment pourrons-nous les comparer s’ils ne sont dévoilés qu’à la dernière heure? Sommes-nous consultés dans l’élaborat ion du contenu de ces programmes en tant qu’électeurs ou citoyens, résidents citadins ou ruraux, travai l leurs ou entrepreneurs, professionnels ou contribuables, associations bénévoles ou groupes de pression, composantes de la société civile ou forces vives diverses? Voulons-nous y participer ?
PRIORITÉS
Une des raisons de l’absence de toute trace de programme jusqu’ici est le fait que nous n’avons pas le sens des priorités. Nous courons comme des moutons derrière l’actualité. Celle-ci est souvent dominée par les déclarations fracassantes de certains dans les médias et sur les réseaux sociaux. La « une » est « hijacked » par une af faire qui fait sensation ou une rumeur piquante. Nous dépensons notre temps, notre attention, notre énergie et notre force sur quelques détails, mais nous nous éloignons de tout le reste et de ce qui est essentiel. Un exemple flagrant est la polémique qui persiste sur les 6 millions de dollars du don saoudien. N’y a-t-il rien d’autre qui interpelle la communauté musulmane ?
Quelles que soient nos convictions religieuses, il y a des priorités nationales qui sont archi-reconnues. La polarisation de la politique politicienne autour des controverses socioreligieuses ne doit pas nous distraire des enjeux d’importance capitale pour notre avenir commun. Les programmes électoraux doivent expliquer comment ceux qui aspirent au pouvoir comptent les aborder concrètement à la lumière des ressources disponibles et descontraintes existantes. Plus que des voeux, des idées et même une vague liste de projets sans aucune cohérence, un programme doit s’inspirer d’une vision partagée afin de définir des stratégies intelligentes menant à un ensemble de solutions et d’actions réalistes, mais aussi ambitieuses.
La drogue, l’éducation, la violence, le coût de la vie, la sécurité alimentaire, la résilience économique, le vieillissement de la population, les fonds de pension, les accidents de route, le dérèglement climatique, l’égalité de chances ou encore le vivre-ensemble sont parmi ces sujets cruciaux où nous devons attendre des prétendants à l’Hôtel du gouvernement à des propositions suffisamment détaillées. Ce sont des défis qui exigent une approche intégrée, participative et innovatrice avec des mesures efficaces sur le long terme dans le contexte local. Le programme doit être tout le contraire de cette fâcheuse habitude d’apporter des réponses uniquement pour l’urgence du moment, comme en donnant de l’argent croyant que cela règle tout.
Par exemple , cet te donation saoudienne de 6 millions de dollars est devenu un casse-tête en soi, une épreuve pour les musulmans qui finissent pas s’arrêter sur un arbre et oublier la forêt. Et il ne faut pas maintenant dire que la solution sera au gouvernement mauricien, actuel ou futur, lui-même, de promettre de l’argent pour la construction et la rénovation des lieux de culte, et ce, pour toutes les religions! Pourtant, si les partis politiques se donnent de la peine, il y a quelques thèmes extrêmement pertinents par rapport à la religion qu’ils doivent inclure dans leurs programmes électoraux.
ALTERNATIF ?
La possibi l ité d’une alliance de l’opposition comprenant Resistans ek Alternativ donnera-t-elle naissance à un programme électoral…alternatif ? S’il n’y a pas de résistance de la part de certains, entre autres venant des politiciens les plus conservateurs et du milieu socioreligieux, nous pourrons alors nous attendre à l’élimination du système « best-loser ». Avec Resistans ek Alternativ, y aura-t-il une proposition de réforme électorale, voire constitutionnelle, qui transformera radicalement nos institutions ver s davantage d’équilibre, de démocratie, de transparence et de considération des droits, y compris ceux des minorités ?
Jusqu’ici, semble-t-i l, Resistans ek Alternativ n’a aucun problème à ce que les candidats de l’éventuelle alliance déclarent leurs appartenances, ses propres membres optant pour un compromis. Nous ne sommes pas loin de la position de Lalit qui préfère un tirage au sort. Dans tous les cas, nous n’avancerons pas réellement aussi longtemps qu’il n’y a pas une proposition ferme au programme.
Le mouvement associatif musulman a intérêt à réfléchir à d’autres « priorités » que les 6 millions de dollars. Il ne leur suffira pas de dire « Pas touche Best Loser System ! » à chaque fois. Certes, de nombreu x pol i t iciens viendront défendre « la cause », non seulement parce que cela leur rapportera des votes mais aussi parce qu’ils auront une meilleure chance de ne pas tomber dans « karo canne ». N’est-il pas, cependant, temps qu’en tant que musulmans mauriciens, et mauriciens musulmans, nous cherchions avec nos concitoyens d’autres religions, ou sans aucune, une formule plus juste afin d’assurer notre représentativité et celles des autres dans le respect des droits humains universels, y compris les principes d’équité, de méritocratie et de sauvegarde de l’intérêt commun ?
INSTITUTIONS
Qu’a vraiment accompli le Best-Loser-System, plus exactement les élus sous ce système de députés correctifs ? Ont-ils servi une communauté seulement ? Evidemment non, et cela ne doit pas être le cas. Ont-ils été plutôt au service de leurs partis, de leurs leaders ou d’eux-mêmes ? S’il y a une matière qui aurait pu les interpeller en tant qu’élus au nom d’une communauté, cela aurait pu être la Muslim Personal Law (MPL), car ils ont été déclarés élus parce qu’ils sont « Muslims ». Or, nous savons que la MPL est morte, avant même sa naissance. Toutefois, il ne se passe pas un jour sans qu’un musulman ou une musulmane, se marie, meurt, divorce ou laisse derrière lui/elle un héritage ou un waqf… et personne ne se soucie trop de ce que la religion prescrit.
L’idée n’est nullement d’avoir un État dans un État. D’ailleurs, cela serait un faux débat. Nous voyons en Inde actuellement une polémique aussi inuti le que dangereuse avec une autre tentative du BJP de diviser la nation indienne avec une proposi t ion d’amendement concernant le waqf. Chez nous, ce qu’il faut simplement c’est que les musulmans exigent que les institutions comme le Muslim Family Council et le Waqf Board soient consolidées à l’intérieur du contexte séculier qui prévaut pour tout le monde. Il faut spécialement renouveler le cadre institutionnel et régulateur face aux difficultés de nos jours que font face la communauté, afin de mieux concilier leur foi et la législation du pays. La préparation et la formation des couples avant le mariage comme l’accompagnement de ceux qui se tournent vers la séparation et le divorce sont des priorités qui doivent nous interpeller.
Quel programme électoral fera aussi de sorte que nous n’ayons pas à chaque pèlerinage du Hadj ou à chaque Qurbani des controverses qui finalement obligent aux décideurs de faire du « fire-fighting », en attendant la crise de la prochaine année ? Si ce n’est pas sur le prix du billet, c’est la disponibilité de boeufs sur le marché, et si ce n’est pas une certaine interférence politicienne, c’est un déficit de communication. Il faut établir des mécanismes clairs et laisser faire les instances compétentes qui ont autorité à agir en toute indépendance. Le Centre Culturel Islamique (CCI) n’est pas un organisme dont l’objectif premier est l’organisation du Hadj. Il faut que les programmes électoraux ne fassent pas l’impasse sur une révision de son rôle, et l’octroi à cette institution des moyens à la hauteur de ce qui doit être sa vocation.
C’est quoi un centre culturel, aujourd’hui ? Il y a lieu de se demander. Il faut reconsidérer ce concept, tout au moins pour le CCI. Ce qu’il nous faut c’est un authentique centre mauricien de la culture musulmane. Un pont avec les autres composantes de la nation mauricienne. Une vitrine pour ceux qui nous regardent d’ailleurs. Un observatoire du monde musulman, de l’univers entier dans sa diversité. Une référence pour mieux connaître l’Islam dans toute sa richesse historique. Une plateforme pour forger l’avenir musulman dans l’environnement mauricien, avec les autres mauriciens dans un vivre-ensemble harmonieux. Une source de lumière, un centre qui nous lie à Dieu. Qu’est-ce que cela veut dire et à quoi servirat- il, ce centre ? En ce temps de pré-campagne électorale, et espérons de construction de programmes, nous pouvons passer un peu plus de temps à commencer à le concevoir, ensemble, au lieu de tourner en rond encore et encore autour des 6 millions de dollars, jusqu’à en rigoler entre nous et devenir la risée des autres…