Sur fond de campagne électorale, la polémique enfle sans rien apporter sur la donation saoudienne de USD 6 millions. Y a-t-il une chose plus importante pour la communauté musulmane, et pour le pays ? Est-ce notre principale attente et quelle est notre éventuelle contribution aux programmes si attendus des partis politiques ? Que doivent-ils prendre comme engagements clairs vis-à-vis de nous pour un lendemain meilleur ?
Cette somme aurait bien pu servir à ériger des centres spécialisés de prévention, d’accompagnement et de désintoxication, gérés par des professionnels dûment formés. Une nécessité absolue aujourd’hui, car la drogue n’est pas qu’un fléau, c’est une urgence nationale en matière de santé publique. Mais puisque les 6 millions de dollars sont, apparemment, destinée aux mosquées, il nous convient de respecter la volonté du donateur. Essayons de dépasser toute controverse futile ou d’en faire un enjeu politique de bas-étage, « lor caisse-savon » comme nous disons ici. À la place, avançons avec une proposition que peut, à la fois, satisfaire l’intention saoudienne et aussi répondre à un besoin vital pour la communauté musulmane. In sha Allah.
BESOIN D’ARGENT ?
Jamais n’a-t-on vécu une telle époque où partout nous parlons d’argent. Ce n’est pas que nos ancêtres en avaient plus que nous ou ne s’en souciaient pas. Seulement, ils se contentaient de peu. Ce qui est la marque d’une culture dominante, aujourd’hui, c’est cette croyance cachée que l’argent est la solution à tous les problèmes. Il suffit de promettre et de donner de l’argent.
Au point que même pour plaire à Dieu, pour certains, il faut investir de l’argent dans des lieux de culte. Et ceux qui veulent le pouvoir, ici et ailleurs, ne manquent pas de jouer sur ce rapport entre la religion des hommes et l’argent qu’ils pensent avoir besoin, toujours et toujours. Pour Dieu, disentils. Argent qui rythme avec domination, influence et gloire, des illusions de plaisir de ce bas monde dans l’intérêt de quelques-uns.
Est-ce que cela signifie qu’il ne faut pas construire des mosquées ? Une narration prophétique souligne que celui qui construit une mosquée, pour Dieu, Il lui construira une maison au Paradis. Une autre version authentique souligne que même si cette mosquée est petite comme un nid d’oiseau, ou encore plus petite. Evidemment, la comparaison à la dimension, au figuré, rappelle la valeur de l’acte, aussi infime soit-il, lorsqu’il qui est accompli pour Dieu. L’intention ne doit être rien d’autre. C’est une bonne oeuvre qui se perpétue même après la mort du donateur, la récompense est éternelle.
La donation saoudienne ne couvrira pas de nouvelles mosquées probablement parce qu’il y en a déjà un grand nombre. Alhamdoulillah. Que Dieu récompense infiniment nos aînés qui depuis la première « pagode » ou « chapelle », selon l’acte de concession signée en 1805 par le Gouverneur Decaen, n’ont jamais cessé de faire des réels sacrifices afin de bâtir, pour Dieu, ces mosquées à travers le pays, y compris à Rodrigues. La rénovation de plusieurs s’est faite au fil des années avec la contribution généreuse des locaux. Il y a des cas où l’argent fait défaut à un instant précis pour ce genre de projets, mais ce n’est pas un obstacle majeur. Au contraire, il faut déplorer les abus sous formede dépenses extravagantes qui se déroulent dans certaines instances. La beauté d’une mosquée, nous le disons trop souvent, c’est l’humilité des gens pieux qui y prient. Elle se mesure à l’heure du Fajr, la première prière à l’aube.
DEMAIN ?
Venons maintenant aux faits et statistiques. Le pays compte actuellement une communauté musulmane d’environ 200 000 âmes, plus de soeurs que de frères. Et il faut aussi inclure quelques dizaines de milliers de travailleurs étrangers ou de musulmans en séjour à tout moment. L’essentiel à retenir c’est que c’est une population qui diminue désormais, qui est vieillissante avec presque
un cinquième âgé de plus de 60 ans. Avec le temps, il y aura encore plus de seniors. Déjà, la moyenne d’âge du Mauricien est actuellement un peu moins de 40 ans.
Les musulmans, à l’image du reste du pays et du monde, ont bénéficié durant ces dernières décennies d’une plus longue espérance de vie à la naissance. Dieu merci. Mais nous commencerons à mourir plus tôt, statistiquement, au lieu de bénéficier d’une « life expectancy » qui serait en accroissement continu. C’est une tendance très récente, particulièrement parmi les hommes. Les maladies non-transmissibles d’abord, qui affectent beaucoup de musulmans ici, mais aussi les accidents et le vieillissement en soi résultent en une augmentation du taux de mortalité actuellement. Par contre, le taux de naissance est au plus bas, les divorces en hausse alors que les mariages en déclin. Mais qu’est-ce que tout cela a à faire avec les 6 millions de dollars de donation saoudienne ?
Tout simplement, pour savoir le type d’espace de prière qu’il nous faudra planifier pour l’avenir. Construire une mosquée, pour Dieu, c’est avoir l’intention de donner aux êtres de foi la possibilité de se prosterner librement devant Lui comme il Lui plait, dans les meilleures conditions de recueillement, sans gêne, correctement, régulièrement, humblement et sincèrement. Paisiblement. Aux heures ordonnées pour les cinq prières. En incluant les femmes et les enfants, puisque rien ne leur interdit absolument la prière hors de la maison, il y a actuellement une mosquée pour environ 500 croyants. Si nous nous limitons aux hommes, une pour environ 200 musulmans, en moyenne. En matière d’infrastructure, en admettant des exceptions, c’est grosso modo suffisant pour les vendredis, les Eids et les premiers ou derniers jours du mois du Ramadan. Parce que, malheureusement plutôt qu’heureusement, l’espace ne fait jamais défaut autrement. À moins que nous ne parlions de l’épineux permanent problème de « parking », à l’extérieur, avec de l’indiscipline qui va avec…
Arriverons-nous aussi un jour à une condition où il y a davantage de personnes priant assises que ceux qui le font normalement ? À ceux qui blâment quelques-uns qui prennent des chaises d’en faire trop, citons la cuisante réplique d’un aîné qui rétorquait toujours « Kan to tour vini, to pou koner ! ». C’est peut-être ici que nous pouvons commencer à réfléchir sur une plus judicieuse utilisation des USD 6 millions du don saoudien. Faire les mosquées accessibles aux personnes en situation de handicap, et aussi donc aux seniors qui ont des problèmes de mobilité, par exemple, semble une priorité. Le cas historique de Ibn Um Mactoom, compagnon du Prophète, bénédiction et paix sur lui, qui était aveugle et de tant d’autres dans des états similaires, nous rappelle que l’Islam est une religion qui se doit être inclusive.
ESPACES DE CONNEXION
La terre entière est une « masjid », littéralement un lieu de prosternation devant Dieu. N’allons pas jusqu’à détourner le don saoudien pour réhabiliter la terre, mais cela signifie également que partout il doit y avoir des espaces de connexion avec Lui. Afin de se ‘connecter’ avec Dieu, pour reprendre un terme à la mode dans ce monde de technologies de communication. Nous ne parlons pas ici du fait de se souvenir de Dieu dans son coeur, la forme d’adoration divine qui est la plus grande et qui n’a pas besoin d’infrastructure. Plutôt, il s’agit bien des prières obligatoires aux horaires déterminés, cinq fois quotidiennement. Avec les mosquées qui existent déjà, développons des espaces de prières convenables dans la proximité des endroits que fréquentent les musulmans, mais où il n’y a pas proprement de lieux disponibles pour le « namaz ».
Ces espaces de connexion avec le Très Haut émergent déjà dans certaines grandes surfaces, mais aussi dans des entreprises et même dans des locaux à proximité des centres-villes ou des agglomérations. Il y en a à la MBC et aussi à l’aéroport (mais que pour les passagers). Certains collèges en ont aussi. Ces « jamaat-khana » ou salles de prières sont quelquefois mal conçues, trop exigües, mal entretenues, avec des facilités inadéquates pour les ablutions. Les gens s’y pressent et s’en vont immédiatement après les prières. Or, rien n’empêche qu’ils peuvent s’y recueillir sereinement en toute quiétude, se donner le temps d’une rupture apaisée avec le stress du travail, le shopping ou autre préoccupation de ce monde. Celui qui ne peut se permettre et doit faire vite, rien ne l’oblige à tomber dans la précipitation et l’empressement. La qualité de ce lieu, même petit en superficie, aide le croyant à parfaire son rendez-vous avec son Créateur, quel que soit le temps à sa disposition.
L’aména gement de tels espaces de prière de proximité permettra aux musulmans, mais aussi aux musulmanes qui sont hors de chez eux, comme aux jeunes des collèges et des universités et tant d’autres, de se connecter avec Dieu à des moments qui leur sont appropriés, selon la prescription religieuse. Ce sera un usage fructueux de la donation saoudienne. L’idée n’est nullement de remplacer les mosquées mais de les complémenter en of frant des facilités convenables aux employés, aux voyageurs , aux étudiants, à ceux et celles qui sont à l’extérieur comme pour faire des courses, visiter un malade ou pour se rendre quelque part. Pour ceux qui sont âgés, car ils seront les plus nombreux, l’accessibilité à ces lieux de prière leur évitera de faire de longs déplacements trop difficiles pour eux.