Dans son chef-d’oeuvre Othello, Shakespeare pleure sa douce Angleterre lorsqu’il écrit « ‘Tis pride that pulls the country down ».
Ce qui s’est passé dans des villes anglai ses, maisaussi jusqu’à Belfast en Irlande du Nord, ne peut que choquer les Mauriciens. Nombreux y ont de la famille, y ont travaillé ou y fait leurs études. Les témoignages des proches y décrivent un climat d’insécurité inimaginable. Ce n’est pas le Royaume-Uni que nous avons connu, peutêtre même aimé, pour tant de choses allant de sa qualité de vie à son football.
La paix sociale est si en danger que certains immigrés mauriciens, désormais citoyens britanniques, font une comparaison avec les bagarres raciales avant l’Indépendance, qu’ils avaient connues avant de partir. Le gouvernement de Starmer, comme toutes les forces politiques majeures, y voient une « right wing thuggery ». Sans doute la violence constatée vient bien de certains voyous de l’extrême droite, mais n’y a-t-il pas eu au fil des années une banalisation du discours antimigrant, xénophobe, raciste et islamophobe ?
Alors qu’en Angleterre la voiture d’un britannique d’origine asiatique est une cible, au Bangladesh c’est le palais premier-ministériel qui fait les frais de la colère des étudiants. Contrairement au Royaume-Uni, ce que le Bangladesh a vécu est d’une autre ampleur, une révolution même. Et pourtant, dans ces deux pays, il vient d’y avoir des élections et peu après les gens sont dans la rue, bien que les deux cas ne soient pas comparables. Idem pour le Venezuela et le Kenya qui étaient appelés aux urnes pas trop longtemps de cela. En France, il y a eu les JO de Paris 2024, mais il est probable sinon qu’il y aurait eu des manifestations suite aux élections. Est-ce possible que durant les campagnes électorales il y a tant de haine, surtout avec les dérapages sur les réseaux sociaux, qu’ensuite c’est difficile de construire ensemble une société paisible ?
MAURICE
Au même moment, ici, des milliers de Mauriciens se sont déplacés avec frénésie pour un Salon de l’Automobile. Avec la canne à sucre et les préjugés, Malcom de Chazal aurait pu ajouter que nous cultivons aussi dans notre pays une attirance pour les voitures. Toutes communautés comprises. Ce symbole presque insensé de statut aux yeux de certains peut aussi être un indicateur de stabilité sociale. Du Venezuela au Kenya en passant par le Bangladesh et, comme mentionné au Royaume-Uni, lorsque les gens sont en colère, ils s’en prennent aux voitures des autres.
Dans notre pays, c’est la période pré-électorale et le succès du Salon de l’Automobile est un indicateur que malgré tout ce que nous entendons à propos de tout, la paix sociale existe à Maurice. Certes, il y a la criminalité, la corruption, les accidents de route, les scandales qui se succèdent, le terrible problème de la drogue et la cherté du coût de la vie, mais en toute objectivité nous n’avons pas atteint une telle détérioration sociale comme ce que nous voyons ailleurs. Les partenaires sociaux n’ont pas rompu le dialogue jusqu’ici pour tomber dans la violence.
L’impunité que bénéficie apparemment certains ou encore les meurtres nonélucidés ne peuvent être pris à la légère, mais le pouvoir actuel peut faire de la paix sociale un enjeu majeur des prochaines élections. Il peut jouer sur la peur du changement qui risque d’apporter plus qu’une période d’instabilité, mais une descente aux enfers irréversible. C’est un argument qui est gagnant non seulement vis-à-vis de sa base traditionnelle, mais aussi les personnes âgées et peut être aussi de l’électorat féminin. C’est une carte qui peut peser dans la balance auprès de nombreux indécis.
Quant à l’opposition parlementaire, mais pas uniquement, elle fera tout pour démontrer que la paix sociale est fragile. Ce qui est totalement vrai, mais tout est relatif. Personne n’a oublié des émeutes suite au décès de Kaya en cellule. Il faudra surtout que l’opposition arrive à convaincre qu’elle sera davantage digne de confiance que le gouvernement actuel en ce qui est de la sauvegarde de stabilité sociale. Peut-elle avancer qu’elle est mieux disposée à consolider l’unité nationale ? Est-elle en mesure de faire mieux que les autorités du jour dans l’apaisement de tensions lorsqu’elles émergent et mettent en péril la cohésion des différentes composantes de notre arc-en-ciel si fragile ? Et au-delà de l’épreuve que nous impose notre diversité complexe, l’opposition peutelle assurer le peuple, toutes communautés confondues, qu’elle ne souffrira pas après les élections de mesures économiques si austères que la paix sociale sera impossible ?
Les contre-manifestations antiracistes qui ont répondu aux « thuggery » de l’extrême droite sont tout à l’honneur de « Sweet England ». Elles ont surtout été sans aucune violence, engageant autant des non-musulmans que des musulmans. Les premiers ont même défendu et nettoyé des mosquées pour montrer que le vivre-ensemble et le pluralisme ne sont pas morts au Royaume- Uni. Comme le barrage contre le Rassemblement National en France, peut-on espérer qu’à Maurice aussi le peuple choisira, le moment venu, les politiciens qui les assurent davantage en matière de paix sociale ?
CONCLUSION
L’enjeu autour de la paix sociale, c’est bien ce qui se passera avant et pendant les élections. Les fakenews et autres tentatives de désinformation mensongères sont aussi responsables des désordres au Royaume-Uni, mais elles ont débuté bien avant les élections. Il est compris que ces campagnes ont été orchestrées par des manipulateurs en dehors de ce pays. Lorsque les politiciens reprennent certains éléments de langage ou des discours dangereux bien avant le jour du vote, des traces restent et mènent à des impacts graves bien après la proclamation des résultats. Il est du devoir de chaque citoyen de rester vigilant, de ne diaboliser personne, de ne déifier personne. Les médias ont aussi un rôle essentiel. Les associations socioreligieuses doivent faire preuve, finalement, d’une conscience éveillée que beaucoup dépendra de leur sens de responsabilité vis-àvis de nos enfants, de notre pays et, avant tout, devant Dieu, si la foi n’est pas un mot sans sens pour eux.