Le leader de l’Opposition a évoqué au Parlement ce montant comme réclamation pour la base militaire de Diego Garcia. Avons-nous là une source garantie de revenue, ne demandant aucun effort ? Pourra-t-on ainsi monnayer notre territoire lorsque nous ne pourrons plus payer nos dettes ?
Même s’il précise que cette somme, sous la forme d’un loyer annuel, représente aussi une compensation pour 50 ans d’occupation illégale avec la base militaire, le coût pour y reloger 1 500 Chagossiens et un dédommagement pour les familles déracinées de l’archipel, il est indéniable qu’une si énorme cagnotte risque de tenter plus d’un. Et pas seulement les Chagossiens!
Il reste à voir si les USA donneront le moindre dollar. Ils exploitent comme ils désirent Diego Garcia depuis un demi-siècle. Sans aucun regard pour notre souveraineté ni au tort immense aux Chagossiens, qui s’apparente à un crime contre l’humanité. Un accord est possible entre quelques leaders des ‘grands’ partis politiques de Maurice sur le fait de concéder Diego Garcia aux USA. Mais il n’est nullement certain qu’un nombre raisonnable de Chagossiens pourra y habiter. Sans inclure Diego Garcia dans un plan de retour, il n’y aura pas d’espace sur le reste de l’archipel pour 1 500 personnes. Est-ce qu’ils ne nous mènent pas en bateau encore une fois ?
Wikileaks
Aujourd’hui, nous sommes en présence de documents secrets, déclassifiés depuis, et des révélations de Wikileaks. Cela nous permet de comprendre l’excision des Chagos d’une perspective différente, sinon enrichie par la connaissance de ce qui se passait dans la tête des Britanniques et de leurs alliés américains. Au cœur, il y a un homme, Sir Seewoosagur Ramgoolam, anobli par la Reine peu avant l’excision des Chagos, que les autorités américaines décrivaient dans leurs notes secrètes comme “above all a canny pragmatist”. Concernant Diego Garcia, des dizaines d’échanges et de rapports, strictement confidentiels à l’époque, confirment aujourd’hui la thèse que la responsabilité de SSR était directement engagée. Mais avait-il un choix ? Une communication particulièrement détaillée des Britanniques aux autorités US explique comment, dès l’origine, ils ont procédé méthodiquement mettant, finalement, la partie mauricienne devant un fait accompli.
Selon les révélations de Wikileaks, les USA avaient, pourtant, des hésitations, des craintes et des doutes. Ils considéraient SSR comme un allié mais ils avaient peur qu’il pourrait perdre le pouvoir à Maurice à cause de Diego Garcia. Ils savaient aussi clairement que, d’un point de vue légal, ils ne pourraient rien justifier. Donc, ils choisirent la voie politique afin d’imposer leur agenda. Ils redoutaient aussi une pression provenant de l’Inde, pays non-aligné et qui pouvait avoir une certaine sympathie envers Moscou. Indira Gandhi devait aussi, ensuite, faire sienne la vision de l’Océan Indien une zone de paix. Les USA appréhendaient une initiative très spécifique de Maurice qui aurait fait capoter leurs plans : une grande conférence internationale regroupant les pays de la région et les sympathisants de la cause Diego Garcia.
La géopolitique a beaucoup évolué et s’est complexifiée depuis, avec la Chine et l’Inde s’imposant désormais comme des acteurs majeurs. N’empêche que l’histoire risque de se répéter même si les acteurs n’ont plus aujourd’hui les mêmes rôles. Le MMM d’antan aurait mal digéré la moindre idée de maintenir Diego Garcia comme base militaire pour les USA. Wikileaks rapporte que les Américains étaient, en une occasion, profondément dérangés par une intervention de Paul Bérenger à …la MBC TV de l’époque. Ils reprochaient directement SSR d’avoir permis à son plus redoutable opposant de s’exprimer ainsi. En fin stratège, le « canny pragmatist » qu’était SSR, non seulement se défendit farouchement, mais accusa la CIA d’interférence. Il parla alors, déjà, de ce nous entendons aujourd’hui : une infiltration de la mafia. Plus d’une fois SSR fit chanter les USA en insistant qu’il allait partir ou partager le pouvoir avec ceux que ces derniers nommaient le Mouvement Marxiste Mauricien. Comme quoi les temps changent, mais que c’est toujours une affaire de rapport de forces.
Question de principe
A-t-on le droit en tant que citoyen mauricien de ne pas être d’accord avec les dirigeants des ‘grands partis’ qui acceptent le maintien de Diego Garcia comme base militaire ? La voix des individus, qui sont nombreux, et même des mouvements comme Lalit, des instances syndicales et de tant de groupes engagés au sein de la société civile, ne compte-t-elle pas parce que certains au sein de l’élite politique ont décidé, entre eux, du sort de Diego Garcia ? Qu’en pense les Chagossiens eux-mêmes de la base militaire ?
Une publication scientifique, dès 2009, nous avertissait contre les dangers radioactifs, comme lors le passage d’un convoi de 550 tonnes d’uranium appauvri une année plus tôt à Diego Garcia. Le journal The Independent devait, en 2014, brosser un tableau désastreux de l’impact de la pollution humaine sur le lagon de Diego Garcia, particulièrement le déversement des eaux usées. En 2021, une autre étude, bien que financée par le gouvernement britannique, ne parvint pas à cacher l’inquiétude quant à la présence potentiellement dangereuse, entre autres de métaux lourds, dans certains sites autour de Diego Garcia.
Certes, il y aura des gens qui n’y verront aucun inconvénient, mais une opportunité de faire de l’argent par la location de l’atoll. Mais il doit y avoir aussi ceux qui rejettent la base militaire tout comme ils refusent l’excision des Chagos et l’expulsion de ses habitants sur une question de principe. Leur objection n’est pas fondée sur les faibles chances de soutirer Rs 50 milliards par an des USA, mais sur leur conviction que leur région doit être une zone de paix, démilitarisée et dénucléarisée totalement.
A l’heure d’enjeux géopolitiques modernes, comme l’illustre la guerre en Ukraine ou l’influence chinoise, ils ne cherchent nullement à faire le jeu des uns contre les autres. Ils exigent que la souveraineté de leur territoire soit pleinement respectée. Ils revendiquent aussi justice pour le préjudice que la colonisation a causé concernant les Chagossiens. Le maintien de Diego Garcia comme base militaire n’est-il pas, rien d’autre, qu’une autre trahison en ce sens ? Est-ce que l’argent peut tout justifier ? Si pour certains c’est le cas, pour d’autres, heureusement, ce n’est pas ainsi.