Qu’est-ce-que nous rappelle la mort ? Reza Issack écrivait qu’elle nous rappelle l’amour. C’était dans un message comme Lord-Maire, à propos de Sir Abdul Razack Mohamed. Cette année-là, en 2006, ce dernier aurait eu cent ans. Avec la magie des mots dont il était maître, Reza écrivait que ce dernier avait « aimé avec tant de passion une terre qui n’était pourtant pas la sienne ». Et sa communauté, « il s’est décarcassé pour elle. Il ne l’a jamais trahie. Au contraire, il l’a aimée à en mourir. »
L’histoire pourra-t-elle, un jour, renvoyer ce compliment à l’adresse de Reza ? Certes, à la différence qu’il vint au monde sur terre mauricienne. Une telle comparaison pourrait paraitre « disproportionnée », comme l’aurait soulignée, sans doute, Reza lui-même. Mais l’humilité n’est-elle, peut-être pas la première qualité que nous pourrons lui reconnaître ?
Ne pouvant prétendre le connaître intimement, il n’empêche que nos interactions, quasiment limitées à ses fonctions de rédacteur-en-chef et d’homme politique, ont toujours été marquées par l’expression d’une modestie naturelle de sa part. Et on pourrait ressentir aussi, qu’au-delà des mots, des phrases et des idées qu’il ciselait pour le grand plaisir de tout amoureux de ce qui beau, que Reza était profondément un homme de cœur, mais également de raison. Il aimait sa communauté, mais aussi beaucoup son pays. Même si nul être n’est parfait, il voulait partager aussi que c’était une vraie histoire d’amour, entre « l’islam et moi ».
STAR
Pour toute une génération, Reza Issack était synonyme de STAR. Dieu Seul sait si votre hebdomadaire serait entre vos mains, aujourd’hui, s’il n’y avait pas eu, à une époque, Reza comme rédacteur-en-chef. C’était là que, jeune, je l’avais connu pour la première fois. Même si notre relation se confinait sur le plan uniquement journalistique, il ne me manquait pas d’occasions pour voir l’évolution de sa vision de l’islam se manifester. Ce cheminement, avec humilité et amour mais sans fausse prétention, j’en fus le témoin plus d’une fois en interagissant avec lui par les articles que je lui envoyais et par mon engagement au sein du milieu associatif musulman. Je ne pense pas qu’il avait déjà refusé un de mes écrits, ni même en modifié le moindre contenu. Il ne prit aussi aucunement les propositions que lui faisaient un jeune activiste du mouvement islamique comme insolentes. Ainsi STAR cessa certaines publications comme sur les loteries, les « pools » et autres paris d’argent.
Lors des différentes visites d’intervenants, comme Tariq Ramadan, ou encore de l’organisation d’activités islamiques, Reza apportait tout le soutien de STAR, tout en assurant son indépendance et sa neutralité par rapport au respect de la diversité des tendances et des écoles de pensée. Par contre, en matière politique, il devenait évident que Reza, donc STAR, était bien parti pour effacer « ces regrets qui hantent la mémoire, ces larmes qu’on voudrait essuyer rétroactivement… ». Il s’agissait bien d’une dette envers le fondateur de The Star, Sir Abdool Razack. Ce dernier, selon Reza, « On l’avait tué avant sa mort. On ne réalisait pas alors qu’on achevait une légende en décapitant une communauté qui, depuis, est restée sans gouvernail sur cette mer démontée de la politique ».
Port Louis, la Plaine Verte et la communauté musulmane étaient devenus presqu’indissociables du MMM, vu comme le tombeur de Sir Abdool Razack. On parlait alors d’un dépôt fixe. Par le biais de STAR, semaine après semaine, Reza allait changer cette donne. Dans son élan de politicien-à-devenir, il fit quelques maladresses, mais en parfait gentleman il offrit l’hospitalité des colonnes de STAR à ceux qui souhaitaient un droit de réponse. Ce fut un plaisir d’être en désaccord avec lui, les rares fois que cela pouvait nous arriver.
Politique
Est-ce un signe du destin qu’au moment où Reza nous quitte, il y a Siddick Chady qui se trouve derrière les barreaux ? Celui-ci a incarné comme personne d’autre la revanche de l’histoire en se faisant élire là où est tombé Sir Abdool Razack. Mais la fin d’un cycle où le MMM se confondait avec le Mouvement Musulman Mauricien n’aurait pas été possible sans le rôle joué par Reza comme rédacteur en chef. Certes, il y avait le travail de terrain de Siddick Chady, comme aussi le départ de Cassam Uteem du MMM, mais STAR était beaucoup plus que le pouls de la communauté. L’hebdomadaire lui façonnait un nouveau cycle.
Reza avait effacé les larmes de la communauté rétroactivement, mais pourrait-il lui donner un « gouvernail sur cette mer démontée de la politique » ? Le journaliste devint vite député, sans même avoir réellement fait campagne pour cause de maladie. Ensuite, dans la capitale, il devint Lord-Maire et ce fut dans cette capacité que j’eus l’honneur de collaborer avec lui dans le cadre de plusieurs fonctions.
Il m’arrivait de prendre la parole à ses côtés et je me souviendrai toujours de son aise au micro, sa gentillesse innée et son respect du décorum. Aurait-il été possible à un président de séance, ou à un Speaker aussi « loud » soit-il, de l’expulser ? Je ne le crois pas, car il était un communicateur hors-pair, un compagnon de dialogue simplement adorable.
Il se décrivait lui-même comme un électron-libre car il exprimait sa pensée d’abord, même si cela dérangeait certains, y compris à l’intérieur de son propre parti. Peut-être cela lui a coûté cher car il ne devint jamais titulaire d’un portefeuille ministériel. S’il ne pouvait donner à la communauté un gouvernail, pourquoi ne pas alors essayer par les moyens qui lui restaient de l’aider à éviter un naufrage ?
C’est ainsi qu’il m’arriva à collaborer avec lui de nouveau dans le cadre d’une ébauche de refonte du Centre Culturel Islamique. Au centre, il y avait la question de l’organisation du hajj. Plus de dix ans, déjà, et il semble que rien n’a changé. Le rapport soumis au Premier Ministre de l’époque ne fut jamais mis-en-œuvre. La principale critique ne concernait pas le contenu en soi, mais qu’il avait été rédigé par quelqu’un d’autre que Reza. Ce qui était faux. La réalité est qu’il demandait, en noir et blanc, au Premier Ministre de mettre fin à la politisation du hajj et élaborait les stratégies pour y parvenir.
Espérons qu’un jour se matérialise cet effort sincère de Reza pour que le hajj ne soit pas un outil aux mains des politiciens et que le Centre Culturel Islamique soit une institution digne de ce nom. Il aurait aussi, comme administrateur de la Cité, été interpellé par une énième tentative d’ingérence politique par la nomination par le Ministre des Collectivités Locales de membres du comité responsable de l’approbation des projets. Qu’Allah le récompense infiniment pour tout le bien qu’il a fait ou essayé de faire. Que lui soient pardonnés ses péchés. Qu’Allah lui accorde le Jannat-ul-Firdaus.
A son épouse et à ses enfants, comme à tous ceux affligés par son départ pour l’éternité, qu’Allah leur accorde force, patience, apaisement, courage et amour. Sincères condoléances à eux d’abord, et à Star, bien sûr.